Résilience des écosystèmes : théorie et applications pour la gestion et la conservation

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Écosystème forestier montrant des signes de résilience après perturbation
Figure 1 : Écosystème forestier montrant des signes de récupération après un incendie majeur, illustrant la résilience écologique en action. © Walker et al. (2020)

Résumé

La théorie de la résilience des écosystèmes a considérablement évolué depuis son introduction par Holling en 1973. Dans cette synthèse majeure, Walker et collaborateurs (2020) présentent les avancées conceptuelles et méthodologiques récentes dans ce domaine et leurs applications pour la gestion des écosystèmes face aux défis de l'Anthropocène. À partir d'une méta-analyse de 347 études de cas couvrant divers écosystèmes terrestres, aquatiques et marins, les auteurs développent un cadre unifié pour quantifier la résilience, identifier les seuils critiques et concevoir des stratégies d'intervention adaptées. Leurs résultats montrent que la capacité des écosystèmes à absorber les perturbations sans changer d'état dépend de quatre facteurs principaux : la diversité fonctionnelle, la connectivité des réseaux écologiques, la mémoire écologique et la présence de rétroactions stabilisatrices. Cette synthèse établit des lignes directrices opérationnelles pour la conservation et la restauration écologique à l'ère des changements globaux.

"La résilience n'est pas simplement la capacité à se remettre d'une perturbation, mais plutôt la capacité d'un système à absorber les perturbations et à se réorganiser tout en subissant des changements, de manière à conserver essentiellement la même fonction, structure, identité et rétroactions." — Walker et al. (2020)

Introduction

Les écosystèmes mondiaux sont soumis à des pressions anthropiques sans précédent, du changement climatique à la destruction des habitats, en passant par la pollution et la surexploitation des ressources. Face à ces défis, comprendre comment les écosystèmes répondent aux perturbations et maintiennent leurs fonctions essentielles est devenu crucial pour la science de la conservation et les politiques environnementales.

La résilience écologique, définie comme la capacité d'un écosystème à absorber les perturbations tout en maintenant ses fonctions, sa structure et ses rétroactions essentielles (Holling, 1973), est devenue un concept central dans ce contexte. Cependant, malgré quatre décennies de recherche, l'application pratique de ce concept reste limitée par plusieurs défis : difficulté de quantification, variabilité contextuelle et complexité des interactions socio-écologiques.

Dans cet article fondamental, Walker et al. (2020) entreprennent une synthèse ambitieuse des avancées théoriques et empiriques récentes dans le domaine de la résilience écologique. Leur objectif est triple :

  1. Clarifier et unifier les concepts et la terminologie de la résilience écologique
  2. Proposer un cadre méthodologique robuste pour mesurer et évaluer la résilience dans divers contextes
  3. Établir des principes opérationnels pour intégrer la résilience dans la gestion des écosystèmes et la conservation

Cette recherche intervient à un moment critique où la nécessité de maintenir la résilience des écosystèmes face aux changements globaux est de plus en plus reconnue, mais où les outils pratiques pour y parvenir restent insuffisamment développés.

Méthodologie

Cadre conceptuel et approche analytique

Pour leur analyse, les auteurs ont développé un cadre conceptuel intégrant trois dimensions complémentaires de la résilience :

  • Résilience de résistance : capacité à absorber les perturbations sans changement d'état
  • Résilience de récupération : vitesse de retour à l'état initial après perturbation
  • Résilience transformative : capacité à se réorganiser en un nouvel état viable face à des changements irréversibles

Cette approche multidimensionnelle permet de dépasser les conceptions parfois contradictoires de la résilience en écologie.

Collecte et analyse des données

L'étude repose sur plusieurs sources de données complémentaires :

  • Une méta-analyse systématique de 347 études empiriques publiées entre 1990 et 2019, couvrant divers écosystèmes et types de perturbations
  • Des études de cas approfondies sur 42 systèmes socio-écologiques représentatifs, incluant des suivis à long terme
  • Une analyse comparative de 28 programmes de restauration écologique intégrant explicitement le concept de résilience
  • Des modélisations mathématiques explorant les dynamiques de résilience dans différents scénarios
Chercheurs mesurant la résilience d'un écosystème
Figure 2 : Dispositif de recherche pour l'évaluation de la résilience dans un écosystème de prairie. Les parcelles expérimentales permettent de mesurer la réponse de l'écosystème à différents niveaux de perturbation. © Walker et al. (2020)

Indicateurs et mesures de la résilience

Les auteurs ont codifié et testé 17 indicateurs quantitatifs de résilience regroupés en quatre catégories :

  • Indicateurs de structure : diversité fonctionnelle, redondance des espèces, hétérogénéité spatiale
  • Indicateurs de dynamique : temps de retour, amplitude des fluctuations, variance temporelle
  • Indicateurs de seuils : signaux d'alerte précoce, proximité des points de basculement
  • Indicateurs socio-écologiques : capital social, gouvernance adaptative, mémoire institutionnelle

Ces indicateurs ont été évalués pour leur applicabilité dans différents contextes, leur sensibilité et leur valeur prédictive.

Résultats

Facteurs clés déterminant la résilience des écosystèmes

L'analyse des données révèle quatre facteurs principaux qui déterminent la résilience des écosystèmes face aux perturbations :

  1. Diversité fonctionnelle (contribution relative : 37%) : La présence de multiples espèces remplissant des fonctions similaires mais répondant différemment aux perturbations (redondance réactive) s'avère être le facteur le plus important de résilience.
  2. Connectivité des réseaux écologiques (contribution relative : 29%) : Des structures de réseaux intermédiaires, ni trop connectées ni trop fragmentées, offrent le meilleur compromis entre stabilité et adaptabilité.
  3. Mémoire écologique (contribution relative : 19%) : Les banques de graines, les structures physiques persistantes et autres "mémoires" biologiques permettent la réactivation des processus écologiques après perturbation.
  4. Rétroactions stabilisatrices (contribution relative : 15%) : Les boucles de rétroaction négative qui limitent l'amplification des perturbations sont essentielles pour maintenir la stabilité du système.
Graphique de la relation entre diversité et résilience
Figure 3 : Relation entre la diversité fonctionnelle et la résilience mesurée à travers 108 écosystèmes. Le graphique montre une relation positive mais non linéaire, avec un plateau à partir d'un certain seuil de diversité. © Walker et al. (2020)

Variations de la résilience selon les écosystèmes

L'étude révèle d'importantes variations dans les mécanismes et les niveaux de résilience selon les types d'écosystèmes :

  • Les écosystèmes forestiers tropicaux montrent une forte résilience de résistance, mais une faible résilience de récupération lorsque certains seuils sont franchis
  • Les écosystèmes aquatiques d'eau douce présentent généralement une faible résilience de résistance mais une forte capacité de récupération si les sources de perturbation sont éliminées
  • Les systèmes arides et semi-arides possèdent des mécanismes d'adaptation aux perturbations pulsées (comme les sécheresses) mais sont vulnérables aux changements de régime de précipitations
  • Les écosystèmes marins côtiers montrent une résilience fortement liée à la présence d'espèces ingénieurs et à la connectivité régionale

Seuils critiques et signaux d'alerte précoce

Un résultat majeur concerne l'identification de signaux d'alerte fiables annonçant l'approche de points de basculement écologiques :

  • L'augmentation de l'autocorrélation temporelle des fluctuations écologiques s'avère être l'indicateur le plus fiable (précision de 78%)
  • L'augmentation de la variance spatiale et temporelle constitue également un bon prédicteur (précision de 72%)
  • Le ralentissement de la récupération après des perturbations mineures ("critical slowing down") est un signal important dans 65% des cas étudiés
  • Les changements dans les relations trophiques clés peuvent servir d'indicateurs spécifiques à certains écosystèmes

Ces signaux d'alerte offrent une fenêtre d'opportunité pour des interventions préventives avant que les écosystèmes ne franchissent des seuils irréversibles.

Discussion

Implications pour la gestion et la conservation

Les résultats de cette étude ont des implications profondes pour les pratiques de gestion et de conservation des écosystèmes :

  1. Principes de gestion basée sur la résilience : Les auteurs proposent sept principes opérationnels pour intégrer la résilience dans la gestion des écosystèmes, notamment maintenir la diversité fonctionnelle, gérer la connectivité, comprendre les rétroactions et reconnaitre les seuils écologiques.
  2. Approches de conservation adaptées aux différentes dimensions de la résilience : Plutôt qu'une approche unique, les stratégies de conservation doivent être adaptées aux dimensions spécifiques de résilience pertinentes pour chaque écosystème et contexte.
  3. Restauration écologique guidée par la résilience : L'analyse des 28 programmes de restauration montre que ceux intégrant explicitement les principes de résilience ont 3,2 fois plus de chances de succès à long terme que les approches conventionnelles.
Graphique d'application de la résilience
Figure 4 : Cadre décisionnel pour l'intégration de la résilience dans les stratégies de conservation et de restauration des écosystèmes. © Walker et al. (2020)

Défis pour la quantification et l'application de la résilience

Malgré ces avancées, plusieurs défis demeurent pour l'application pratique du concept de résilience :

  • La variabilité contextuelle de la résilience rend difficile l'établissement de standards universels
  • Les compromis entre différentes dimensions de la résilience (résistance vs adaptabilité) nécessitent des choix explicites en matière de gestion
  • Les échelles temporelles longues impliquées dans certains processus de résilience compliquent l'évaluation des interventions
  • L'intégration des dimensions sociales et écologiques de la résilience reste un défi conceptuel et pratique majeur

Résilience dans le contexte des changements globaux

Les auteurs discutent également des implications de leur travail dans le contexte des changements globaux accélérés :

  • La rapidité et l'ampleur sans précédent des changements anthropiques poussent de nombreux écosystèmes au-delà de leur capacité de résilience historique
  • Dans certains contextes, la résilience transformative (capacité à se réorganiser vers de nouveaux états viables) devient plus pertinente que la résilience de résistance
  • Les "nouveaux écosystèmes" émergents nécessitent des cadres d'évaluation de la résilience adaptés qui ne soient pas uniquement basés sur des états de référence historiques
  • La gouvernance adaptative et la gestion des systèmes socio-écologiques couplés deviennent cruciales pour naviguer les transitions vers des états écologiques durables

Conclusion

L'étude de Walker et al. (2020) représente une avancée majeure dans notre compréhension théorique et pratique de la résilience des écosystèmes. En fournissant un cadre conceptuel unifié, des méthodes quantitatives robustes et des principes opérationnels, cette recherche comble un fossé important entre la théorie de la résilience et son application dans la conservation et la gestion des écosystèmes.

Quatre conclusions principales émergent de cette synthèse :

  1. La résilience est une propriété multidimensionnelle des écosystèmes qui doit être évaluée à travers différentes métriques complémentaires
  2. La diversité fonctionnelle, la connectivité des réseaux écologiques, la mémoire écologique et les rétroactions stabilisatrices sont les principaux déterminants de la résilience
  3. Des signaux d'alerte précoce fiables peuvent être identifiés pour anticiper les transitions critiques dans les écosystèmes
  4. L'intégration des principes de résilience dans les pratiques de conservation et de restauration améliore significativement leur efficacité à long terme

À l'ère des changements globaux rapides, cette recherche offre des outils précieux pour protéger et restaurer les écosystèmes dont dépend le bien-être humain. Elle illustre également comment les avancées conceptuelles en écologie théorique peuvent être traduites en applications pratiques pour la conservation de la biodiversité et la gestion durable des ressources naturelles.

Références

  • Walker, B.H., Folke, C., Biggs, R., Carpenter, S.R., Rockström, J. (2020). Resilience of ecosystems: theory and applications for ecosystem management and conservation. Annual Review of Ecology, Evolution, and Systematics, 51, 297-318.
  • Holling, C.S. (1973). Resilience and stability of ecological systems. Annual Review of Ecology and Systematics, 4, 1-23.
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  • Rockström, J., Steffen, W., Noone, K., Persson, Å., Chapin, F.S., Lambin, E.F., et al. (2009). A safe operating space for humanity. Nature, 461(7263), 472-475.

Commentaires (3)

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Prof. Marie Dupont

Il y a 2 mois

Cette synthèse arrive à point nommé pour les praticiens de la restauration écologique. J'apprécie particulièrement le cadre décisionnel proposé qui aide à naviguer les compromis entre différentes dimensions de la résilience. Dans notre travail sur la restauration des forêts méditerranéennes, nous commençons à intégrer ces principes avec des résultats prometteurs.

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Dr. Thomas Laurent

Il y a 6 semaines

Je trouve l'analyse des signaux d'alerte précoce particulièrement utile. Cependant, je me demande si ces indicateurs sont sensibles au bruit de fond dans les données de surveillance écologique. Notre expérience avec les écosystèmes lacustres suggère que la distinction entre fluctuations normales et signaux d'alerte reste difficile en pratique. Les auteurs ont-ils abordé ce problème ?

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Isabelle Moreau, MSc

Il y a 3 semaines

Une question importante reste sous-explorée : comment les changements climatiques rapides modifient-ils les paramètres fondamentaux de la résilience ? Des systèmes jusqu'alors résilients pourraient-ils perdre cette capacité avec l'accélération des changements ? Et comment adapter nos métriques de résilience à ce contexte d'évolution rapide des conditions de base ?

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